Olivia & Tatiana
Pélivan, Moldavie– Août 2023
Après le repas familial réunissant une dizaine de personnes, chacun.e se disperse pour vaquer à ses occupations. Tatiana, la grand-mère d’Olivia a accepté de laisser la vaisselle à quelqu’un d’autre pour prendre part à l’interview. Pour Tatiana, s'assoir pendant plus de trente minutes s'avère être un exercice plus redoutable que sa participation à l'interview. Très tôt, Tatiana a perdu son mari et a toujours tout géré seule. Encore aujourd’hui, à 67 ans, elle prépare des fourrées au fromage pour la supérette au bord de la route longeant le village. A 6 heures du matin, elle entame sa journée avec la préparation des fourées. La matinée s'achève à 11h après plusieurs aller-retour entre sa cuisine et la supérette.
Tatiana habite à Pelivan, un village pas si petit que ça. Elle vit au deuxième étage d’un immeuble à deux étages au bout du village. “ C’est facile à retenir. C’est la dernière maison“ C’est facile à retenir. C’est la dernière maison” nous avait dit Diana, lamère d’Olivia, en arrivant. C'est en Maschrutka que ma mère et moi sommes venues à Pelivan depuis Chisinau. A priori, Pelivan ne fait pas parti de l'itinéraire affiché sur le pare-brise du bus mais après avoir demandé au chauffeur, il accepte de nous déposer à l'entré du village. Ce n'est pas un grand détour. Le village à 3 arrêts de bus, une poste, 3 supérettes alimentaires et un nombre impressionnant de puits plus en utilisation. Tatiana nous dira d’ailleurs plus tard que le prix de l’eau a explosé et malgré cela il y a souvent des coupures d’eau.
A 21 ans Tatiana habitait dans le sud de la Moldavie, était mariée, travaillait dans une usine de conserve et participait à la chorale. “J’étais ingénieure et vérifiais la qualité des produits. On travaillait de 8h à 17h et le midi on mangeait à la cantine de l’usine.” Les vacances se passaient à la mer Noire, à Odessa, cette grande ville ukrainienne au charme indéniable.
Olivia raconte sa vie à 21 ans en roumain à sa grand-mère. Elle lui explique qu'il n'y a plus d'études typiquement pour filles ou pour garçons. Elle lui parle de démocratie, des élections auxquelles hommes et femmes peuvent participer. Olivia est née et habite depuis toujours à Strasbourg. Cette années, pour les vacances d'été, elle passe plusieures semaines en Moldavie chez sa grand-mère. “Ça fait longtemps que j’avais pas passer autant de temps en Moldavie.” A 21 ans, elle est en troisième année de psychologie à la fac . “J’étais longtemps interessée par le profil d’institutrice mais finalement je voulais avoir plus de choix pour ma carrière.”En plus de ses études, Olivia a un job étudiant. Elle travaille le samedi et un jour dans la semaine. Elle est hôtesse de caisse chez Lidl. Elle a suspendu son activité cet été mais la reprendra probablement à la rentré. “J’aimerais bientôt déménager de chez mes parents, du coup le travail étudiant aide à faire des économies.”
Olivia parle de des cours de morale qu’elle avait à l’école. “ C’était une heure par semaine. On devait lire un article, politique, science et faire un exposé la semaine d’après. C’était pas vraiment des cours de politique mais plutôt une façon de nous convaincre ou inciter à lire des articles, comme nous en tant que jeunes on va avoir tendances à moins lire le journal. On nous disait d’aller sur BBC ou le New York Times par exemple.”Olivia n’aimait pas vraiment les cours de morale portant sur des sujets plutôt banals avec l’éternel débat à l’école: “faut-il être ou non végétarien”. Elle se tourne vers sa grand-mère pour traduire ce qu’elle venait de dire. “ Nous aussi à l‘usine de conserve on avait des cours de politique. Ah je ne les aimais pas ses cours! C’était le lundi après le travail! Chacun son tour on devait préparer le cours. Évidemment nous n’étions pas libres de dire ce qu’on voulait. On pouvait lire certains journaux comme le jeune communiste, Pravda (qui signifie vérité en Russe) ou encore la moldavie socialiste. Il y avait un superviseur, qui était proche du parti” Une grande partie de la vie des travailleurs tournait autour de l’usine. Il y avait des cours de sport et une chorale dans laquelle Tatiana chantait. A La chorale on chantait des chants patriotiques russes pour les défilés. Dans la casa de cultura (un lieu de rencontre) on avait pas le droit de mettre de la musique en roumain. Mais à la maison on parlait roumain et on écoutait de la musique roumaine. Ce n’était pas un problème." Tatiana devait aussi participer à la préparation militaire. Pour les femmes les cours miliraire portait surtout sur l’apprentissage des premiers soins.
La veille de l’interview nous avions sorti les albums photos. Il y a un tas de photos d’Olivia petite, un peu moins de ses deux petites sœurs avec lesquelles elle a un grand écart d’âge. “Au début quand on était en France j’envoyais vraiment beaucoup de photos en Moldavie, pour que ma mère connaisse tout le monde. Après on envoyait plutôt par téléphone et j’envoyais moins de photos des deux plus petites.”explique Diana, la mère d’Olivia. Sur certaines nous sommes aussi dessus mes parents, mes frères et sœurs et moi. C’est drôle d’être dans un village Moldave et de trouver des photos familières.
“Le 1er Mai, la fête du travail et le 9 Mai, la célébration de la fin de la deuxième guerre étaient des jours fériés. Nous étions obligés d’aller aux parades sinon nous avions pas les primes sur le salaire.”raconte Tatiana. Le 9 Mai n’est plus un jour férié en Moldavie. “ La fin avril et Pâques coïncidaient plus ou moins avec l’anniversaire de Lenin. A cette occasion il y avait des jours fériés en Moldavie. C’était pour que les gens se concentre sur l’anniversaire et non sur la fête religieuse.”continue Tatiana.
La traversé de la frontière vers la Roumanie en mai 1990 a énormément marqué Tatiana. Le 6 mai 1990 plus précisément. Cet évènement était important car il s'agissait de la première fois (et seule fois) où Tatiana et les moldaves pouvait traverser la frontière sans papier depuis la deuxième guerre mondiale. Ce moment de liberté a eu une grande importance pour elle mais n'a duré que quelques jours. En 1995 Tatiana eu la visite d’une personnalité très importante de l’époque. Mircea Snegur, le premier président Moldave après le communisme, vient à Pélivan. Une visite est organisé dans une famille, celle de Tatiana. Il se rend dans la maison de la mère de Tatiana. Tout le village s'est perché sur un arbre afin de suivre l'évènement ou tout le village s'est perché sur un arbre afin d'assister à cet évènement. La sécurité vérifiait tout, de la propreté aux verres et goutait même la nourriture avant le Président. “C’était impression! " Ce que Tatiana aimerait plus que tout pour le future: que la Moldavie rejoigne l’Union Européenne.
Olivia ne s'intéresse pas plus que cela à la politique. “ C’est surtout mon père qui suit ce qu’il se passe. ” Quand elle avait 18 ans elle est allée voter. Ses premières élections étaient les présidentielles de 2022. “ Pour le premier tour on essayait d’avoir des informations par-ci par-là sur des plus grands partis parce qu’il y en a beaucoup mais qu’on sait plus ou moins qui a des chances. Au deuxième tour c'était plus simple. On vote pour le moins pire " Bien sûr, elle n'est pas passée à côté des derniers évènements qui ont fait la une des médias: les grèves contre les réformes des retraites " qui touche directement ma génération mais aussi les personnes qui travaillent dans le bâtiment comme mon père par exemple. Ou encore les protestations et révoltes après la mort du jeune Nahel. “Pour moi, ce sont des événements passagers qui disparaissent rapidement de l’actualité. Au cours de moral on apprenait à ne pas prendre parti et de voir les deux côtés. J’essayais de me mettre dans la tête du policier pour comprendre pourquoi il avait tiré, mais je n’ai pas trouvé de réponse.” Le début de la guerre l'a également marqué : “ C’est désolant pour ma génération, 40 ans après des choses se répètent comme ce qu’il se passe en ce moment en Russie. ” Olivia raconte avoir visité, il y a quelques jours à Chisinau un monument de commémoration. Un wagon de train est placé devant un bâtiment du gouvernement, qui a servi à la déportation, pour rappelé qu’il s’est passé. Olivia raconte: “ mon arrière grand-mère, la grand-mère de mon père a été déportée 2 fois. La première fois à l’âge de 12 ans, l’âge de ma petite sœur! Elle a perdu ses parents à cet âge au Goulag. Dans mon école il y eu beaucoup de Zeitzeugen (Témoins de l’histoire) pour parler des artrocités surtout du Holocaust. Il nous est répété que raconté l’histoire est important pour pas que cela se répète mais ça arrive encore et encore.”
Tatiana est partie depuis un moment, pour finir quelque chose en cuisine. Lorsqu’elle revient nous finissons l’interview. En évoquant la notion de pouvoir Tatiana pense directement à Putin. Olivia pense plus globalement au pouvoir politique mais surtout celui ou il y a une dictature. “ On peut aussi simplement associer la notion au verbe: pouvoir faire, être capable de faire. Le pouvoir politique à été associé très négativement mais de base quand on donne le pouvoir c’est pour améliorer et non pour une personne en particulier à la façon d’un culte.”
Tatiana nous regarde: „Gata?“ en Roumain “finit"..Da, gata, je lui réponds en la remerciant. Tatiana ne perd pas une minute pour se remettre à la cuisine pour préparer un café et prendre son dernier petit-fils dans les bras. Olivia me dira plus tard qu'elle a passé un bon moment à échanger avec sa grand-mère. Certaines des histoires étaient nouvelles pour elle.